Le droit du travail est une matière complexe : – il est très réglementé. La connaissance de la discipline est rendue difficile de par la multiplicité des sources du droit du travail, et du fait qu’il s’agit d’une discipline éminemment jurisprudentielle. Certains auteurs ont préconisé de « brûler le code du travail », ce qui peut avoir deux significations : simplifier le code du travail, réduire les textes, les rendre plus lisibles pour rendre le code plus opératoire ; ou retourner au droit commun des contrats, dans lequel les parties sont libres de contracter sans aucune contrainte légale ni administrative. Cette seconde analyse marquerait un véritable retour en arrière en rapprochant le contrat de travail, du contrat de louage de service.

– il est au cœur des choix politiques, et reflète les grandes orientations économiques et sociales. Il existe une interaction entre le droit du travail et l’orientation économique (le contenu des lois Aubry sur les 35H est inséparable des contraintes économiques ; la législation sur le travail précaire a été modifiée à chaque changement de tendance du gouvernement), et entre le droit du travail et les orientations sociales (problème du travail du dimanche).

I/ Les frontières du droit du travail.

A/ Le droit du travail, une branche du droit social.

Le droit social comprend deux branches : le droit du travail et le droit de la sécurité sociale.

Le social est tout ce qui se rapporte à la société.

L’adjectif « social » a entretenu ces 100 dernières années des rapports étroits avec ce qui relève du monde des travailleurs, et en ce sens, le droit du travail est bien le droit des travailleurs.

Le social est aussi ce qui est en rapport avec le collectif. Le droit social contient l’idée d’un droit collectif.

L’idée du social contient aussi l’idée de rétablir des équilibres entre des parties qui ne sont pas dans une situation d’égalité (aide aux personnes « fragilisées »). L’origine historique du droit du travail est la protection du travailleur, qui est en état d’infériorité par rapport à l’employeur.

Initialement, le droit du travail s’intéressait aux travailleurs qui travaillent, alors que la sécurité sociale s’intéressait aux travailleurs sans emploi (fournir un revenu de remplacement). Aujourd’hui, ces deux branches sont relativement autonomes, notamment en raison de l’évolution de la sécurité sociale. La loi sur la Couverture Maladie Universelle, entrée en vigueur au 1/1/2000, témoigne de l’élargissement du champ d’action de la sécurité sociale à l’ensemble des travailleurs. Il existe toutefois entre ces deux branches des points de rencontre (définition uniforme du travailleur salarié,…) et de chevauchement (une salariée enceinte dépend du droit du travail pour ce qui est de la suspension du contrat, et du droit de la sécurité sociale pour son revenu de remplacement).

B/ Le droit du travail salarié.

Il était autrefois nommé « législation ouvrière » ou « législation industrielle ». Ce changement de terminologie a marqué une extension du champ d’application du droit du travail, qui a vocation à s’appliquer à tous les salariés. Il régit les relations de travail salarié, mais pas celles de travail indépendant. La notion de droit du travail est donc trop large, mais aussi trop réduite car elle ne fait pas référence à un pan important du droit du travail, le droit de l’emploi.

* Aujourd’hui, le droit du travail est le droit du travail subordonné (= exercé dans un cadre contractuel).

C/ Le droit du travail, un droit né des relations individuelles et collectives de travail.

Les relations collectives de travail sont les relations nouées entre un employeur ou un groupe d’employeurs, et les salariés établis en groupement (syndicat,…).

D/ Le droit du travail et le droit des contrats.

* Une dépendance envers le droit des contrats : le droit du travail emprunte incontestablement au droit des contrats, et plus généralement au droit des obligations. Le contrat de travail est un contrat.

Originellement, le contrat de travail est un contrat de louage de services réglementé par l’art.1779 c.civ. Pour Teyssié, le droit du travail est autonome mais pas indépendant du droit civil : il puise beaucoup de règles fondatrices dans le droit des contrats (conditions de formation, d’exécution ou de rupture). L’existence de dispositions spéciales dans le code du travail exclut l’application des règles civiles, mais, a contrario, en l’absence de dispositions spéciales, il faut se référer au code civil.

* L’autonomie du droit du travail : – en cas de lacune du droit du travail pour régler des questions précises, le juge fait d’avantage appel à des dispositions connexes du droit du travail plutôt qu’au droit civil, et, même lorsque ce dernier s’applique en droit du travail, il est aménagé. Ainsi, dans certaines circonstances, l’employeur peut, sous certaines conditions, dispenser l’employé d’exécuter sa prestation de travail pour ne pas avoir à le payer.

Les civilistes se sont longtemps méfiés du droit du travail qu’ils soupçonnaient d’être un droit de classe (classe ouvrière) minant l’unité du droit civil, tandis que les travaillistes se méfiaient du droit civil qu’ils considéraient comme un droit de classe (classe capitaliste). Des rapports complexes en résultent : le droit du travail cherche notamment la sécurité des individus, alors que le droit civil vise à gérer une situation où les individus n’ont plus la maîtrise de leurs corps, insérés dans une organisation conçue par autrui.

– en droit du travail, la volonté se soumet dans la relation de travail, alors que dans le contrat civil, elle s’engage. Le droit civil n’a pas vocation à régir des relations dominées par l’idée de subordination : il véhicule une fiction égalitaire alors que le droit du travail cherche à s’en débarrasser, et cherche concrètement à régler des situations déséquilibrées.

E/ Le droit du travail, le droit de l’activité, et le droit de l’emploi.

Cette terminologie permet de voir les mutations du droit du travail. Aujourd’hui, il n’a plus seulement vocation à régir l’exécution d’une prestation de travail, même si c’est le cœur du droit du travail.

* Le droit du travail et le droit de l’activité : le droit du travail s’intéresse depuis longtemps déjà à l’activité et l’inactivité du salarié (suspension du contrat de travail pour maladie, congés,…). Certains contrats mis en place récemment n’ont pas pour objet central l’exercice d’une prestation de travail, mais répondent à une logique d’insertion et de formation complémentaire (contrat d’apprentissage, contrat emploi-solidarité, contrat initiative-emploi, contrat emploi-jeune,…). A l’extrême de cette conception, le rapport Boissona avait proposé la mise en place d’un contrat d’activité conclu entre un individu et un groupement d’intérêt public, et devant régir toute la vie active de l’individu tant pendant ses périodes de travail que de non-travail : l’individu bénéficierait ainsi d’un revenu stable durant toute sa vie active.

* Le droit du travail, le droit de l’emploi et le droit à l’emploi : le préambule de la constitution de 1946 affirme que chacun a le devoir de travailler, et le droit d’obtenir un emploi. Mais ce droit à l’emploi ne doit pas s’entendre d’une obligation de résultat : sa constitutionnalisation justifie la mise en place d’un système d’assurance chômage. Le droit à l’emploi a aussi débouché sur la mise en place d’une politique de l’emploi (formation, adaptation des chômeurs, mise en contact de l’offre et de la demande,…).

Le droit de l’emploi fait partie du droit du travail : ce sont tous ces contrats nouveaux dont l’objet est de permettre à l’individu d’accéder à un vrai travail.*

II/ Historique du droit du travail.

  • Pour le droit romain, celui qui était chargé d’exécuter la prestation de travail n’était pas une personne mais une chose (« esclave ») : la relation de travail était appréhendée à travers le louage de choses. Notre droit du travail trouve sa source dans le principe chrétien qui refuse d’assimiler le travail à une marchandise, et qui refuse donc de soumettre intégralement le travail aux lois du marché.
  • Sous l’Ancien Régime, les corps se voyaient concéder une mission en contrepartie d’un monopole : les corporations étaient des corps exerçant une activité économique. Le droit du travail n’était alors pas l’organisation des relations entre employeurs et salariés, mais l’organisation économique de la corporation autour de 3 principes :
  • – une hiérarchie inégalitaire (maîtres > compagnons > apprentis).

    – des règles professionnelles visant à réglementer la qualité des produits.

    – un monopole de fabrication et de distribution garanti par le pouvoir royal.

    Le rapport de travail était organisé indépendamment des pouvoirs publics au sein même de la corporation. L’interdiction de travailler le dimanche était déjà connue (fondements religieux).

    • La Révolution a aboli les corporations, qui étaient contraires à la philosophie révolutionnaire et postrévolutionnaire, ainsi qu’au principe de liberté du travail (tout individu peut exercer la profession de son choix sans devoir passer par un corps). Dans cette conception libérale et individuelle, le contrat triomphe y compris dans les relations de travail. L’intervention protectrice de l’Etat est malvenue, et la volonté individuelle est la seule source des droits et obligations (principe d’autonomie de la volonté).
    • Le code civil de 1804 s’intéresse peu au contrat de travail : il est juste en ce qu’il émane de la rencontre des volontés entre employeur et employés, peu importe la modicité du salaire et la dureté des conditions de travail. Il est très dur de mettre en jeu la responsabilité de l’employeur en cas d’accident ou de maladie.
    • Le rapport Villermé (1840) donne son essor au droit du travail contemporain. Il décrit les faits : les travailleurs faibles (femmes et enfants) travaillent trop, la durée quotidienne de travail est trop longue (plus de 12H), les salaires sont modiques, les conditions d’hygiène mauvaises, la discipline rigoureuse,…

Ce rapport débouche sur des mesures concrètes : la loi de 1841 sur le travail des enfants (age minimal, durée du travail,…) et sur d’autres lois après la révolution de 1848 (liberté d’association, durée du travail pour les adultes,…).

Un droit ouvrier se développe entre 1874 et 1914 (loi de 1884 instaurant la liberté syndicale, repos hebdomadaire, loi de 1898 organisant la protection des ouvriers contre les accidents de travail,…). A partir de 1901, la rédaction du code du travail commence.

  • Après la première guerre mondiale, des loi importants sont adoptées : la loi de 1919 organise le statut général des conventions collectives, une autre loi de 1919 impose la journée de 8H,…

Dans les années 1930, l’arrivée au pouvoir du Front Populaire amène des réformes fondamentales : les accords de Matignon du 7/6/1936 instaurent la semaine de 40H et les congés payés.

  • Après la deuxième guerre mondiale, le droit du travail est marqué par les orientations politiques : il suit tantôt une ligne étatique et dirigiste, tantôt une ligne libérale et flexible. Néanmoins, le droit syndical, le droit de grève et l’organisation collective du travail ne sont jamais remis en cause.

Dans les années 1950, des innovations importantes ont lieu : les comités d’entreprise (1946) visent à assurer l’expression collective des salariés ; le SMIG (1950) ; la 3ème semaine de congés payés (1956). L’évolution du droit du travail est relancée après mai 1968 : une loi de 1971 pose la règle de la mensualisation des salaires, ce qui permet aux salariés d’être payés même les jours fériés ; une loi de 1973 protège les salariés en cas de faillite ; deux lois de 1973 et 1975 reforment le droit du licenciement.

  • Le droit du travail contemporain est marqué par : – une tendance à la contractualisation : on semble préférer le droit conventionnel, notamment le droit conventionnel collectif, à la loi. (Ex des 2 lois Aubry.)

– un changement d’objectif. Historiquement, le droit du travail était protecteur des salariés, mais aujourd’hui, il cherche à réaliser un compromis entre la nécessité de protéger les salariés surtout en période de chômage, et la nécessité de répondre aux besoins de souplesse des entreprises.

Depuis 1982, il s’efforce de satisfaire les revendications de flexibilité des entreprises afin de résorber le chômage : les mesures d’exonération des cotisations sociales (ex des 2 lois Aubry) se multiplient, ainsi que les mesures permettant à l’employeur d’aménager facilement le temps de travail, et que les contrats atypiques (CDD, emplois à temps partiel, contrat d’intérim,…). Ce retour à une conception libérale du droit du travail a été largement facilitée par le déclin du mouvement syndical.

Sur le plan idéologique, on se demande si le droit du travail doit être un outil au service de l’économie, ou au contraire un fond de certaines valeurs morales et éthiques auxquelles l’économie doit se soumettre ?